Travel retail : la nouvelle vitrine du luxe

Avec une croissance mondiale de 8% par an, le travel retail décolle. Un canal prometteur, qui englobe aussi bien les magasins situés dans les aéroports que les boutiques « downtown » proposant des produits hors-taxes aux touristes. Séverine Lanthier, Directrice Travel Retail de Kering et de Gucci, présente les ambitions du Groupe pour saisir le potentiel de ce marché stratégique.

Séverine Lanthier
Directrice Travel Retail de Kering et de Gucci

Quelles sont les grandes tendances du marché du travel retail ?

Le marché de la vente aux voyageurs est évidemment lié à l’évolution du trafic aérien, et celui-ci est en progression constante. En 2017, plus de 3.5 milliards de passagers ont pris l’avion à travers le monde, une progression de 7% par rapport à 2016 (+8.5% pour les passagers internationaux). De plus en plus nombreux, les voyageurs consomment également de plus en plus ! À l’échelle mondiale, le commerce aéroportuaire croît en moyenne de 7% par an. Si ce chiffre inclut toutes les catégories de produits commercialisés (parfums et cosmétiques, liqueurs et tabac…), on observe une croissance d’environ 6% sur le seul segment du luxe. Une tendance qui pourrait s’accentuer, vu l’augmentation globale de la demande pour ces produits.

Par ailleurs, les profils des passagers évoluent également. Les millennials représentent aujourd’hui 50% des consommateurs dans les aéroports, ce qui signifie de nouvelles pratiques et de nouvelles attentes.

Quelles sont les habitudes de consommation des voyageurs et comment évoluent-elles ?

Les voyageurs disposent d’un temps très limité. Dans les enseignes duty free situées en centre-ville, les clients qui suivent un circuit de tour-opérateur n’ont parfois pas plus de 45 minutes au sein de la galerie ! Même problématique dans les aéroports : si l’on considère qu’un passager arrive en moyenne 1h30 avant le décollage de son avion, il ne lui reste qu’une trentaine de minutes maximum pour faire ses achats, après les formalités d’usage. Ces consommateurs ont des besoins précis : ils recherchent des biens faciles à transporter (a fortiori en cabine), des cadeaux à rapporter à leurs proches et fonctionnent souvent par coup-de-cœur. Les marques s’adaptent, en proposant des parfums de 100 ml par exemple, plus faciles à glisser dans un sac de voyage. Aujourd’hui, le luxe arrive encore en dernier dans l’ordre des priorités, mais l’écart se comble. Les voyageurs cherchent d’abord à prendre leur avion, puis à se procurer éventuellement tabac, alcool ou cosmétiques bon marché, avant de regarder les produits « premium »… Facilement transportables et garanties de faire plaisir lorsqu’ils sont offerts, les accessoires haut-de-gamme sont les produits qui fonctionnent le mieux en travel retail. Auparavant, l’approche des marques de luxe consistait justement à proposer des produits d’entrée de gamme : les consommateurs étaient guidés par l’acquisition d’un logo à prix cassé. Aujourd’hui, ils veulent le meilleur de l’expérience luxe, même en voyage : un environnement sophistiqué, un accueil irréprochable, une large gamme de produits, des biens personnalisables… Les aéroports se mutent en véritables « malls » de luxe.

Comment Kering s’est-il organisé pour se positionner sur ce marché ?

Kering a mis en place une équipe dédiée au niveau groupe fin 2016 – sachant que certaines Maisons avaient bien sûr déjà leur propre organisation. Nous travaillons avec toutes les marques du Groupe. L’enjeu ? Parler à la fois le langage des Maisons et des principaux acteurs du travel retail, qui ne sont pas forcément familiers des problématiques du luxe. En regroupant nos marques sous l’ombrelle Kering, nous avons optimisé nos négociations avec nos partenaires aéroportuaires. Nous avons pu ainsi ouvrir de nouvelles boutiques de travel retail, à Londres, Bangkok ou Rome. Et le champ des possibles reste encore grand ouvert !

Comment travaillez-vous avec les Maisons ?

Nous aidons les marques à définir puis à implémenter leur stratégie sur ce canal, en leur laissant la mainmise sur la mise en œuvre. Nos Maisons ont chacune une identité et une vision très spécifiques, qui rejaillissent sur leur approche du travel retail. Certaines ont pour objectif de l’utiliser comme une fenêtre ouverte sur le monde, pouvant toucher des millions de nouveaux consommateurs. D’autres imaginent des offres spécifiques, du produit à la campagne qui l’accompagne. L’idée est de créer le plus d’interactions possibles avec les consommateurs potentiels dans l’aéroport, en leur proposant une expérience différente, avec par exemple l’ouverture de pop-up stores pour des lancements de produit… Kering Eyewear a ainsi développé une collection de lunettes de soleil Gucci disponible uniquement en travel retail.

Du côté des aéroports, observez-vous également une nouvelle approche ?

L’environnement shopping des aéroports s’est radicalement transformé ces dix dernières années. Les nouveaux hubs asiatiques, par exemple, ont été pensés dans une optique « travel retail friendly ». En revanche, certaines infrastructures n’ont pas encore évolué, ce qui laisse un énorme potentiel de développement, tandis que d’autres pourront difficilement être mises à niveau – c’est le cas, par exemple, du Terminal 1 de Roissy Charles de Gaulle, qui est protégé. À noter également que les consommateurs ne viennent plus dans les duty free uniquement pour prendre un avion : de zone de passage, les magasins sont devenus une destination shopping en soi. L’environnement de l’aéroport change la donne : les millennials découvrent plus facilement les produits de luxe en duty free qu’en boutique traditionnelle, car les portes leurs sont toujours ouvertes. Comme le retail devient une source de revenus presque aussi rentable que la gestion des lignes aériennes en elles-mêmes, les aéroports ajustent leur stratégie et commencent à changer de paradigme.

Quels sont vos objectifs à moyen et long terme concernant le travel retail ?

Notre objectif est très ambitieux. Les possibilités de développement sont nombreuses, pour une raison simple : les voyageurs devront toujours se déplacer physiquement pour prendre un avion. Le digital sera la prochaine étape, mais il reste encore très peu développé en travel retail. Je suis personnellement convaincue que les boutiques d’aéroports seront les derniers bastions du « brick and mortar ».