« Changer les mentalités prend du temps »

Cyril Brulé, directeur de l’Agence Viva Model Management et président du Synam, le Syndicat national des agences de mannequins, a joué un rôle actif dans l’élaboration de la Charte mannequins. Il revient sur les débuts de son application, et sur ses évolutions possibles.

Cyril Brulé
Directeur de l’Agence Viva Model Management et président du Synam

Vous avez été l’un des contributeurs clés à l’élaboration de la Charte mannequins. Pourquoi cet engagement ?

Avant de devenir agent, j’ai commencé ma carrière en tant que mannequin. J’ai pu observer, dès les années 1980, certains comportements déplacés de la part d’agences envers leurs mannequins, qu’ils soient hommes ou femmes. C’est pour cela que j’ai souhaité, au sein de l’Agence Viva Model Management, montrer qu’il est possible d’instaurer un management différent dans l’industrie de la mode. Cela passe notamment par un travail important d’information et de prévention auprès des mannequins, pour qui il s’agit souvent d’une première expérience professionnelle – d’où l’importance qu’elle se déroule dans de bonnes conditions. Par ailleurs, avec l’arrivée des réseaux sociaux, tout s’est accéléré. Un mannequin peut devenir très visible en quelques semaines, mais voir sa carrière s’effondrer aussi vite. Et ces jeunes sont parfois très vulnérables : pour certains, qui viennent de milieux défavorisés, le mannequinat est un moyen d’aider leur famille, et ils sont prêts à tout accepter, de peur de perdre leur place.

Comment décririez-vous l’impact de la Charte sur l’industrie de la mode ?

La Charte a été accueillie avec un grand soulagement par les mannequins. Ils ont eu le sentiment que leur santé et leurs conditions de travail étaient enfin prises en compte. En France, il existe une loi exigeant un certificat médical de moins de deux ans pour les mannequins, mais elle est franco-française et ne répond pas aux besoins et à la réalité de l’industrie – d’autant plus que 90% des mannequins qui travaillent à Paris ne sont pas français. La Charte, par son caractère international, a un impact bien plus fort. L’ensemble des mannequins qui travaillent pour les groupes signataires sont protégés – que ce soit lors d’un casting au Brésil, d’une séance photo à Shanghai, ou de Fashion Weeks entre New York, Londres, Paris et Milan.

Depuis l’adoption de la Charte le 6 septembre 2017, trois Fashion Weeks se sont déroulées. Quels sont les changements concrets que vous avez pu observer ?

Une des mesures les plus significatives est l’interdiction des tailles 32 sur les podiums. En imposant une taille 34 minimum, les Maisons signataires de la Charte envoient un signal fort envers les agences de casting des marchés dits « secondaires », c’est-à-dire hors France, Italie, Angleterre et Etats-Unis. Le message est clair : les mannequins en situation d’extrême maigreur ne défileront plus pour Kering et LVMH. Idem pour les mannequins de moins de 16 ans. Ainsi, les agences situées dans des pays où le droit du travail est différent – comme l’Amérique du Sud, la Russie, etc. – sont incitées à revoir leurs méthodes de recrutement et à présenter des profils plus matures.

Autre mesure qui a nettement amélioré le bien-être des mannequins : la mise en place d’espaces privatifs où l’on peut se changer à l’abri des regards indiscrets. Savoir qu’ils disposent de cabines en backstages contribue grandement au bien-être des mannequins, qui se sentent respectés. Si certains d’entre eux avaient parfois du mal à faire part de leur malaise, la présence d’un psychologue représente pour eux un grand pas en avant. D’autre part, en écrivant noir sur blanc qu’un mannequin peut refuser une situation de nudité ou de semi-nudité – et, plus largement, une situation qui l’incommode – on diminue le risque de voir une jeune fille accepter à reculons de porter une tenue transparente de peur de ne pas être rappelée pour le prochain défilé. Évidemment, l’adoption de la Charte a un peu compliqué les process pour les agences, avec par exemple l’identification des chaperons pour les mannequins entre 16 et 18 ans, mais ces étapes sont nécessaires à une prise de conscience globale de l’ensemble du secteur.

Selon vous, quels seraient les points d’amélioration possibles ?

Dans un deuxième temps, il sera intéressant de se poser la question de la taille. En fonction des morphologies, une taille standard recouvre des réalités bien différentes. Une taille 34 sur un mannequin d’1m80 n’a pas le même impact en termes de santé que sur une femme d’1m70. Travailler sur ces points techniques permettrait de faire évoluer les mentalités, en promouvant la diversité des tailles sur les podiums par exemple. Autre exemple : c’est un très bon début de mettre à disposition des buffets pour les mannequins, mais il faut aussi travailler sur la barrière psychologique qui fait que certains d’entre eux ne s’autorisent – pas encore – à y toucher. Enfin, la question de l’âge minimum est un autre point qui pourrait être discuté.

Faut-il donc prévoir de faire évoluer la Charte ?

Oui, pour moi, nous ne sommes qu’au début. La Charte a donné un grand coup de pied dans la fourmilière, en réussissant là où les pouvoirs publics avaient échoué. Globalement, les Maisons signataires sont vigilantes, et vérifient que les agences respectent bien les dispositions de la Charte. D’autres Maisons ont suivi, les choses ont bougé, et les mannequins ont senti la différence. Mais changer les mentalités prend du temps et nécessite de s’adapter : il faut faire évoluer cet outil formidable si on veut qu’il entraîne tous les acteurs. Je suis personnellement très heureux que ce projet ait démarré et que les premiers résultats de la Charte soient positifs. Il faut maintenant, grâce à un suivi impliquant les différentes parties prenantes, renforcer ce mouvement dans la durée.