La Haute Horlogerie face à un public mieux informé

Quelles seront les principales tendances du marché de la Haute Horlogerie en 2019 ?

Brian Duffy : Les tendances observées ces dernières années vont se poursuivre. Par exemple, le marché américain devrait continuer à enregistrer la croissance à deux chiffres enregistrée depuis décembre 2017. Bien que cela ne me concerne pas directement, les marchés d’Europe continentale semblent également se porter mieux. La principale difficulté reste l’impasse entre la Chine et les États-Unis, car les consommateurs chinois sont les premiers acheteurs de produits de luxe. Tout ralentissement aurait des répercussions directes sur les marchés asiatiques comme Hong-Kong, mais une baisse du tourisme chinois affecterait également les villes comme Londres, Paris, Madrid ou Milan. En termes de produit, le marché est dominé par la préférence des consommateurs pour les montres au look sportif affichant de nombreuses fonctionnalités (montres de plongée, de pilote et chronographes), au détriment du style classique.

Quelles sont les dernières tendances en matière de style, de couleur et de taille ?

Le noir reste la couleur de cadran la plus appréciée, mais le bleu est en forte progression car il se marie bien avec un blazer, comme n’importe quel bijou en or, et les hommes voient de plus en plus la montre comme un accessoire. Les clientes, de leur côté, ont désormais tendances à se reporter sur les modèles masculins. En effet, les montres 36 mm sont souvent classées dans la catégorie des modèles pour homme, mais sont plus souvent achetées par des femmes. Selon moi, on assiste à une vraie convergence entre modèles féminins et masculins. De mon point de vue, la Haute Horlogerie devrait envisager de revenir sur cette classification genrée, car elle ne me semble pas utile et peu en lien avec le mode de pensée contemporain. Beaucoup de femmes recherchent la même chose que les hommes dans une montre (une grande taille, des fonctionnalités et un mouvement mécanique plutôt qu’à quartz) et je pense que la Haute Horlogerie doit pouvoir répondre à cette demande. De plus, les hommes se mettent également à acheter des montres très ornementées, plus féminines. Cette convergence va donc dans les deux sens. Aujourd’hui, la notion d’égalité au sens large est un sujet de société et cela se reflète également dans l’achat de montres. Enfin, l’émergence des matériaux mixtes constitue une vraie tendance de fond, qu’il s’agisse des bracelets bicolores en or et acier ou des bracelets en caoutchouc surmontés de boîtiers en or ou en en acier.

Comment les Manufactures peuvent-elles susciter l’intérêt des consommateurs ?

Il faut privilégier l’innovation et un marketing adapté, avec des modèles au goût du jour. Pour le marketing proprement dit, les plateformes digitales deviennent une priorité. Il est donc nécessaire de soigner ses publicités digitales et ses contenus pour retenir l’attention des consommateurs. Les clients sont aujourd’hui mieux informés et prennent désormais tout en considération avant d’acheter : le produit, bien sûr, mais aussi la gamme de prix, leur style de vie ou l’univers de la marque. Associer sa marque à des actions en faveur de l’environnement, de la philanthropie ou de la nature devient très positif aux yeux de ces consommateurs. Mais il n’est pas toujours facile de le faire de manière pertinente pour une montre. Le partenariat entre Ulysse Nardin et le photographe sous-marin Fred Buyle en est un excellent exemple. Il met en avant un intérêt de la marque pour la nature et pour une activité aussi originale que la plongée en apnée. C’est moderne et c’est cool. La campagne #FreakMeOut, qui met en scène un requin pour la gamme Freak Vision, est également très créative, accrocheuse et percutante.

Comment le marketing s’adapte-t-il à la nouvelle génération de consommateurs ?

Les marques devraient revoir leurs partenariats traditionnels avec les stars, car associer l’image de la personne la plus célèbre du monde à un produit n’est plus aussi efficace. La nouvelle génération est désormais très bien informée grâce à Internet et préfèrent accorder leur confiance à des prescripteurs crédibles. Les réseaux sociaux ont évidemment un rôle à jouer. Instagram exerce une grande d’influence, Facebook permet toujours de toucher le monde entier et les autres grandes plateformes doivent être associées à n’importe quelle campagne. Travailler avec les influenceurs est tout aussi essentiel. Dans le même temps, nous croyons au potentiel du commerce en ligne, même s’il ne représente que 4 % de nos ventes de haute horlogerie au Royaume-Uni. Il a un rôle important dans le parcours client, vu que la plupart de nos clients ont fait des recherches sur notre site avant de se rendre en boutique.

Quelles perspectives voyez-vous pour Ulysse Nardin et Girard-Perregaux ?

Ulysse Nardin est une superbe marque, avec un énorme potentiel. Elle est reconnue pour ses produits innovants et je suis très confiant dans les choix stratégiques et marketing qui ont été faits (voir également l’article de la rubrique Focus). Ils ont une excellente opportunité à saisir pour se démarquer et répondre aux tendances actuelles. Girard-Perregaux est aussi une marque merveilleuse, un vrai classique. Avec des produits bien pensés et un support marketing adapté, elle a toutes latitude pour se développer encore. Nous proposons cette marque dans notre nouvelle boutique de SoHo, à New York, et elle suscite beaucoup d’intérêt. Globalement, ces deux marques affichent un potentiel indéniable.

Pour terminer, quel regard portez-vous sur le SIHH 2019 ?

C’est un SIHH très orienté « commerce », avec de nouveaux produits de qualité, proches de l’ADN de leur marque, appuyés par une stratégie marketing pertinente et positionnés dans une gamme de prix appropriée. Ces dernières années, les nouveautés ont véritablement pris de l’importance sur le marché. Les nouveaux modèles présentés en 2018 lors du SIHH ou du salon Baselworld représentent aujourd’hui une très grande part de notre chiffre d’affaires.