Charte mannequins, l’heure du premier bilan

En septembre 2017, Kering et LVMH créaient l’événement en lançant une charte sur les relations de travail et le bien-être des mannequins. Trois Fashion Weeks plus tard, quels sont les premiers effets ? Le point avec Marie-Claire Daveu, Directrice du Développement durable et des Affaires institutionnelles internationales de Kering.

Marie-Claire Daveu
Directrice du Développement durable et des Affaires institutionnelles internationales de Kering

Dans quel contexte s’inscrivait le lancement de la Charte ?

Jusqu’en septembre dernier, il n’existait pas de standards communs à l’ensemble du secteur concernant les conditions de travail des mannequins, le respect de leur dignité, leur santé et leur bien-être. À la suite de plusieurs incidents, quelques acteurs majeurs du monde de la mode se sont alors emparés publiquement du sujet. Les réseaux sociaux y ont fait écho et contribué à la prise de conscience du problème. Nous recherchions déjà des solutions, mais l’ampleur de l’écho nous a permis d’engager plus fortement le changement. C’est ainsi que François-Henri Pinault a décidé d’établir une charte formalisant nos engagements et nos standards, en définissant des règles claires et strictes qui vont au-delà des obligations légales. Chaque mannequin, homme ou femme, doit être assuré de bénéficier de conditions de travail appropriées, que ce soit lors d’un défilé, d’un casting ou d’un shooting, et ce, où que ce soit dans le monde. Pour changer les pratiques de l’industrie du Luxe, nous devons entraîner les autres acteurs, y compris nos compétiteurs. Nous nous sommes donc rapprochés des équipes de LVMH, qui étaient elles-mêmes en réflexion sur ces sujets. L’interaction de ces différentes énergies a permis de rédiger et mettre en application la Charte en un temps record.

Quelles sont les grandes orientations de la Charte ?

Elle s’articule autour de trois axes : le bien-être des mannequins, l’image qu’ils véhiculent et un ensemble des mesures relatives aux mannequins mineurs. Pour chaque axe, nous avons mis en place des outils dédiés. Par exemple, avec l’exigence d’un certificat médical datant de moins de six mois, notre démarche va au-delà de la loi française, qui prévoit un certificat médical de moins de deux ans. Nous avons estimé que ce laps de temps était trop long, puisque la santé du modèle peut se détériorer assez rapidement. En outre, puisque les jeunes sont souvent influencés par le secteur de la mode, nous sommes vigilants quant à l’image renvoyée par le mannequin, qui peut paraître trop maigre même s’il est néanmoins médicalement apte à défiler. Désormais, les mannequins doivent faire au minimum une taille 34 pour les femmes et une taille 44 pour les hommes. Autre point primordial : ne pas faire appel à des mannequins de moins de 16 ans pour porter des pièces d’adultes. Et, même si la loi prévoit déjà des mesures spécifiques pour le travail des mineurs entre 16 et 18 ans – pas de travail entre 22h et 6h notamment–, nous sommes allés encore plus loin, en tenant compte des spécificités du métier de mannequin. Ainsi, la Charte prescrit la présence d’un chaperon (un adulte responsable, parent ou non) accompagnant le mannequin dans tous ses déplacements et dans ses décisions, notamment celles liées aux situations de nudité ou semi-nudité. Enfin, les mannequins ont accès à une « hotline » et aux services de psychologues s’ils rencontrent une situation qui les met mal à l’aise.

Les médias Elle France et Version Femina ont récemment signé la Charte. Le groupe américain Condé Nast a dévoilé un « code de conduite » à l’attention de ses collaborateurs. Quels autres échos avez-vous reçus ?

Si l’on souhaite changer de paradigme, il est indispensable que le plus grand nombre d’acteurs nous rejoignent. Plus nous aurons de parties prenantes extérieures, plus nombreuses seront les pistes d’amélioration. Avoir à nos côtés des médias comme Elle France ou Version Femina est très positif car ils sont prescripteurs sur ces thématiques. Outre la fructueuse collaboration avec LVMH tout au long du projet, nous avons été approchés par d’autres marques, qui appliquent aujourd’hui déjà la Charte, sans l’avoir encore annoncé publiquement. Le contexte apparu après la publication de la Charte, mettant en lumière des cas de harcèlement dans le monde de la mode, va sans doute inciter d’autres acteurs à s’engager dans cette démarche.

Signature Charte Mannequins
Erin Doherty, Directrice de la rédaction de ELLE, Antoine Arnault, membre du Conseil d’administration de LVMH, Catherine Roig, Directrice de la rédaction de Version Fémina, et Marie-Claire Daveu, Directrice du développement durable et des affaires institutionnelles internationales de Kering. ©Emanuele Scorcelletti

 

Trois Fashion Weeks se sont déroulées depuis la mise en application de la Charte. Quel est le premier bilan ?

Il est positif ! L’ensemble des critères de bien-être définis ont été respectés, et nous avons observé des progrès notables entre les trois Fashion Weeks. Nos marques ont fait preuve d’une grande réactivité et ont engagé un intense travail d’explication de la démarche à destination des agences de casting et de mannequins. Ces nouvelles règles leur demandent de nombreux efforts, notamment pour la mise aux normes des contrats des mannequins. Par ailleurs, nous avons lancé avec LVMH le site à vocation pédagogique We care for models en février. Les mannequins sont très jeunes. Bénéficier d’un service d’information depuis leur mobile permet à cette population très digitale d’avoir accès à des témoignages de médecins, à des conseils de nutrition et de gestion du stress étayés scientifiquement. Cette brique supplémentaire s’est ajoutée au dispositif préexistant : il s’agit vraiment d’un travail d’amélioration continue. Une approche qui sera étendue par le Comité de suivi, qui va bientôt se réunir. Celui-ci regroupera des représentants des différentes parties prenantes (Maisons, agences de castings, agences de mannequins et mannequins). L’objectif : vérifier la mise en œuvre de la Charte, préparer les prochaines Fashion Weeks, élargir notre action et convaincre d’autres acteurs de nous rejoindre.

Comment voyez-vous évoluer les questions de responsabilité sociale dans le secteur du Luxe dans les années à venir ?

Il y a une véritable prise de conscience au sein de notre secteur. Au-delà des mannequins, les problématiques de bien-être chez les fournisseurs et partenaires vont être de plus en plus prises en compte. Au sein de Kering, nous avons déjà mis en place un code d’éthique pour l’ensemble de nos chaînes d’approvisionnement. Nous réalisons notamment des audits sociaux et accompagnons nos prestataires pour s’assurer qu’ils respectent nos standards en matière d’éthique. Sur des sujets de cette importance, notre responsabilité est d’être proactifs et il est nécessaire de mettre au centre la collaboration, pour transcender les clivages de la concurrence classique.

 

Crédit photo : ©Benoît Peverelli